"Le Seigneur est mon berger: rien ne saurait me manquer".
Nous ne sommes pas
tristes, nous sommes profondément émus par les grandes grâces
reçues tout ce temps où le Seigneur Jésus s'est montré le
véritable ami, d'une fidélité en amitié, d'une miséricorde,
d'une tendresse, d'une délicatesse confondantes. « La p'tite
maman » comme on aimait à l'appeler depuis quelques années,
était en fait une grande maman ; surtout qu'en abordant
l'éternité, l'âme reçoit comme une dimension d'immensité. Après
une vie d'engagement, de militantisme et de service, aux côtés de
son cher Louis, notre papa, il pouvait sembler que les derniers
temps, elle était plus à recevoir qu'à donner. Or, en consentant
doucement aux renoncements nécessaires, puis aux dépouillements,
avec cette noblesse et dignité typiques des personnes de cette
génération, elle atteignait sa pleine stature dans le Christ.
Evoquons d'abord ces
grandes blessures qui marquèrent son enfance avec la mort tragique
de sa maman, puis son adolescence avec la mort de son père en plein
ciel, alors qu'il était le Commandant de l'Aéronavale pour
l'Afrique Occidentale Française à Dakar en 1942. Lors de la lente
remontée vers la métropole, tandis que la guerre basculait vers la
victoire, ce fut la rencontre de Louis Vandevelde à Alger, à la
faculté de droit ; puis le temps de la formation humaine et
chrétienne dans le scoutisme. C'est ensuite la fin de l'Algérie
française, avec la découvertes d'injustices profondes, dénoncées
déjà par le jeune évêque de Constantine, devenu ensuite
l'archevêque d'Alger, surnommé Mohamed Duval, reprenant les
discours de Pie XII sur la dignité de la personne humaine toujours
et partout. Ils participent ensuite à la construction d'un nouveau
pays, dans l'Algérie dite indépendante, dans une démarche
authentiquement missionnaire : comment les Algériens
pourront-ils connaître le Christ, s'il n'y a plus de Chrétiens au
milieu d'eux ? Les grands mouvements de l'Histoire semblent
inéluctables : l'Algérie s'enfonça progressivement dans
l'islamisme puis la violence une nouvelle fois. Mais maman était
déjà rentrée en France un Vendredi Saint, étouffant d'asthme et
presque à l'article de la mort, pour une vie plus retirée, au
chalet et ailleurs, d'accueil et de soutien de la famille qui
s'agrandissait, jusqu'à maintenant.
Ce qu'il y a de bien
avec maman, c'est qu'il y a une vingtaine d'années, elle avait
commencé à écrire le récit de sa vie, d'abord pour ses petites
filles, il n'y avait pas encore les petits enfants de Genève, qui
arrivent les uns après les autres, au fur et à mesure qu'on avance
dans le livre. Il en reste des exemplaires, qui vous sont offerts au fond de l'église. Et maman qui oubliait beaucoup sur la fin, disait en
souriant : il faudrait que je relise mon livre, pour savoir ce
dont je devrais me rappeler. Mais ce qui nous a le plus marqué,
c'est son ascension spirituelle, scandée par le grand courant de la
Sainte Eglise notre Mère : avec le Jubilé extraordinaire de la
Miséricorde, puis le Centenaire des apparitions de Notre Dame à
Fatima, et ses lectures. Maman a lu jusqu'à une dizaine de jours
avant sa mort, et elle en était au milieu du tome 4 de « l'Evangile
tel qu'il m'a été révélé ». C'est là qu'elle a eu la
grâce de retrouver la Vierge Marie. Certes, elle priait Marie comme
tout catholique mais il y avait une sorte de gêne, depuis qu'elle avait
perdu sa mère : on lui avait dit pieusement « maintenant
tu as la Vierge Marie pour mère » et elle-même se disait :
« je préfèrerais avoir encore ma mère ». Or elle est
entrée dans cette intimité salutaire entre Jésus et sa Mère, dans
une visée apostolique : car nous sommes tous nés de cette
intimité.
C'est ainsi que sa
personne s'est unifiée dans cette optique de réparation, de
sacrifice, d'offrande de ses contraintes, de ses épreuves, je n'ose
pas dire de ses souffrances, car elle fut merveilleusement préservée
jusqu'au bout, pour la conversion des pauvres pécheurs. Jésus avait
promis à sainte Faustine : ceux qui honoreront ma Miséricorde,
nous le faisions avec maman depuis des années, je les défendrai
moi-même à l'heure de la mort comme ma propre gloire. Et lorsque je
lui ai donné l'extrême-onction quelques instants avant sa mort,
c'était selon la formule de sainte Jacinthe Marto de Fatima :
pour l'amour de Jésus, pour la réparation des offenses au Coeur
immaculé de Marie, pour la conversion des pauvres pécheurs, et pour
le Saint Père. Sa dernière
communion avait été la veille, le Premier Samedi du mois. Elle était devenue pleinement consciente de la
plénitude chrétienne que nous confère le Baptême, ouvrant en nous
la vie éternelle par la grâce, la foi, l'espérance et la charité,
jusqu'à ce qu'on enlève le voile et que l'on voit tout dans la
lumière bienheureuse de la gloire. C'était son unique désir, son
unique souci aussi pour ceux qu'elle aime. Il est significatif
d'ailleurs, de constater que les rites des Funérailles sont
exactement ceux du Baptême : la Croix, le Cierge pascal, l'Eau
bénite. On est baptisé pour entrer dans la vie éternelle.
Du coup, les
lectures choisies s'imposaient pour ainsi dire à nous, et se passent
de commentaire. Qui nous séparera de l'amour du Christ ? C'est
lui que nous avons revêtu au baptême, et nous sommes avec lui comme
une seule personne mystique. Rien, aucune créature ne pourra nous
séparer de lui, il est mort, bien plus il est ressuscité pour nous.
Veillant jusqu'au retour du Maître jusqu'à minuit ou même trois heures
du matin, 91 ans pour maman. Quant au psaume « Le Seigneur est
mon berger, rien ne saurait me manquer », il reprend les étapes
de l'initiation chrétienne, Baptême, Confirmation, Communion, tout
en étant le psaume typique des Funérailles : passerai-je le
ravin de la mort, ta Croix est là qui me rassure ; tu prépares
pour moi une table dans ta maison, ma coupe est débordante de joie.